Marc Van Enis, à 57 ans, a déjà mené plusieurs vies successives mais toujours dans le domaine de l’image: dessinateur de B.D., de presse, illustrateur publicitaire, créateur de jeux et de jouets pour la petite enfance. Tout cela sans jamais lâcher ses pinceaux d’aquarelliste, l’art qu’il pratique dès qu’il en a l’occasion, par pur plaisir. Il y a plus de trente ans qu’il exerce partout cette discipline nomade par excellence – tout tient dans une petite trousse, et sa gourde de milicien contient toute l’eau nécessaire. Mais si l’aquarelliste voyage aussi léger que les caresses de son pinceau, il sait aussi qu’il n’a aucun droit à l’erreur ou à la retouche: “L’aquarelle ne permet aucun retard, on en déchire beaucoup, on ne revient pas en arrière. C’est une école de maîtrise de soi, avec un côté paradoxal: elle peut calmer comme elle peut énerver…” Marc Van Enis en est un autre, de paradoxe : voilà un auteur dont les albums de Zoé et Théo sont diffusés en une vingtaine de langues, dont le Chinois, mais qui n’avait pratiquement jamais montré ses aquarelles jusqu’ici. Ce sont ses enfants qui ont trouvé qu’il était temps qu’il le fasse, et ils ont eu raison.
Après trois ans d’études d’architecture (“une erreur, par amour du dessin”, confesse-t-il), cet Ucclois découvre l’univers de la bande dessinée via Saint-Luc, avec Claude Renard et François Schuiten comme professeurs. “Une chance, c’étaient des professeurs remarquables qui m’ont poussé à rechercher ma propre expression en moi.” Il n’en trouvera pas une, mais plusieurs, au gré de l’évolution de l’image, le premier secteur touché par l’avènement de l’informatique. Il garde notamment le souvenir de la période fabuleuse de 1990-2000, où il créait des jeux et jouets en collaboration avec des psys, des concepteurs, les teams de production: “On se retrouvait autour d’une table, c’était passionnant. La mondialisation a mis un terme à tout cela.”
Avec l’aquarelle, Marc Van Enis a toujours réussi à garder le contact avec l’essence de l’art, la simplicité. Il se refuse à travailler d’après photo: “J’interprète ce que je vois et ressens, l’atmosphère du moment que dégagent par exemple les anciennes villas normandes de notre littoral sous la lumière qui change de minute en minute. Une photo est déjà elle-même une interprétation, pas la réalité: on perdrait tout en partant de ça…” Il peint beaucoup à la mer, depuis un cinquième étage sur la digue de Saint-Idesbald, qui lui donne l’impression d’être dans l’océan. Mais les maisons à colombages qu’il adore et qu’il retrouve dans toute l’Europe (“c’est un vrai style européen, finalement”) sont loin d’être ses seuls sujets : il emmène son nécessaire de peinture partout, dès qu’il le peut. En toute liberté, sans modèle et sans maître: “Des maîtres, j’en ai eu d’immenses, en bande dessinée. Ici, je suis libre face à la nature, avec mon plaisir.” Ça se voit.
Stève Polus
Le Wolvendael, avril 2015.